De nouvelles techniques redonnent du nerf aux cordes vocales paralysées
Si les muscles des cordes vocales sont paralysés, le larynx ne peut plus s’ouvrir ou se fermer normalement. Ce qui a des conséquences sur la voix ou la respiration. Les traitements ont été longtemps insatisfaisants, jusqu’aux derniers progrès de la microchirurgie. Explications.
Nos deux cordes vocales s’ouvrent pour nous laisser respirer, et elles se ferment pour émettre un son, pour avaler et pour protéger nos poumons. Ce sont des nerfs, dits récurrents, qui activent les muscles. Mais ces nerfs peuvent être endommagés par des traumatismes post-chirurgicaux, chirurgie de la glande thyroïde, thyroïdectomie, chirurgie du thorax, du poumon, une tumeur… ou dès la naissance.
Comment réparer la voix ?
Cela entraîne une paralysie qui peut être unilatérale : une seule corde vocale est touchée. Dans ce cas, le patient a la voix rauque. Elle peut être corrigée de plusieurs façons :
Par des exercices orthophoniques, pour renforcer les muscles des cordes vocales ;
Par une opération qui déplace vers le milieu la corde paralysée afin qu’elle entre en contact avec l’autre ;
Par une technique plus récente : la réinnervation laryngée. Il s’agit d’une greffe nerveuse. « On déroute un nerf du cou, un nerf dont on peut se passer, et on le greffe au nerf originel des cordes vocales, le nerf récurrent, détaille Jean-Paul Marie, chef de service ORL du CHU de Rouen. Quand on greffe un nerf donneur à un nerf receveur, les petits axones – qui sont comme des fils électriques à l’intérieur du nerf- finissent par repousser et réinnerver les muscles du larynx paralysé. C’est une opération légère qui dure une heure et demi, actuellement sous anesthésie générale. L’objectif de cette greffe nerveuse est de redonner du tonus à tous les muscles affaiblis ». Le patient récupère alors une voix, la meilleure possible, Mais pas tout de suite après l’opération. « Il faut le temps que les nerfs repoussent, ajoute le professeur. La vraie amélioration intervient au bout de 4 à 6 mois. Pour améliorer le résultat immédiat, on complète cette greffe par un remplissage de la corde vocale paralysée avec un produit résorbable qui gonfle la corde vocale ».
Retrouver une bonne respiration sans abîmer la voix
Plus ennuyeux encore : quand les deux cordes vocales sont paralysées.
Dans ce cas, elles ne peuvent plus s’écarter pour laisser passer l’air. « Les patients ont une voix convenable, mais ils sont très gênés pour respirer », explique le chef du service ORL. Le traitement est plus lourd. « Classiquement, on fait une trachéostomie ou un trou dans les cordes vocales à l’aide d’un laser pour que l’air puisse passer. Mais plus on laisse passer de l’air, plus on abîme la voix, reprend le chef de service ORL.
La nouveauté est de faire une réinnervation bilatérale complexe du larynx, mais aussi sélective. C’est-à-dire que l’on utilise des nerfs pour redonner une action aux muscles qui ouvrent les cordes vocales, et qu’on utilise des nerfs qui ont une action différente, c’est-à-dire qui rapprochent les cordes vocales ». Le nerf qui ouvre les cordes vocales fonctionne au même moment que le nerf phrénique, le nerf du diaphragme. Le chirurgien prend un petit bout du nerf phrénique, qu’il allonge avec un câble nerveux ce qui permet d’implanter les axones dans les muscles. « C’est une opération plus compliquée qui prend environ 6 heures, parce que c’est de la microchirurgie, il faut ouvrir le cou et disséquer les différents tissus ».
Là encore, il faut attendre un peu pour voir les effets : les petits nerfs mettent six mois environ pour repousser. L’avantage de cette réinnervation laryngée est que le patient respire sans avoir abîmé sa voix. Ou sans avoir avec un trou dans la trachée.
Réinnervation du larynx : des décennies de recherche
Le problème de la paralysie bilatérale du larynx tracasse les laryngologistes depuis le début du XXe siècle. « Les solutions proposées jusqu’ici ne marchaient pas, du moins nous n’arrivions pas à préserver à la fois la respiration et la voix, rapporte Jean-Paul Marie, chef du service ORL du CHU de Rouen. Ce professeur travaille depuis plus de trente ans à la réinnervation du larynx. Le défi de cette recherche : trouver les bons nerfs et les brancher sur les bons muscles du larynx. « Nous avons commencé les expériences chez l’animal, poursuit-il. Il y a différents montages possibles, et au fil du temps, il s’est avéré que le prélèvement d’un morceau de nerf phrénique pour réinnerver les deux côtés du larynx était efficace. Quand nous avons obtenu de bons résultats sur l’animal et quand nous avons constaté que nous n’abîmions pas le diaphragme, nous sommes passés à l’étape humaine ». Il a fallu au chercheur prouver que la technique améliorait la respiration sans abîmer la voix, qu’elle donnait de bons résultats dans trois-quarts des cas, avant d’obtenir l’autorisation du comité éthique, « parce que nous coupons et nous rebranchons des nerfs ». Cela fait maintenant une quinzaine d’années que le chirurgien réalise ces microchirurgies du larynx. « J’ai opéré plus de 80 patients avec cette technique », indique-t-il. Aujourd’hui, il la diffuse partout dans le monde, l’enseigne au Medical Training Center de Rouen. Elle commence à se répandre. Surtout elle ouvre de nouvelles opportunités. « Ces stratégies de réinnervation peuvent être utilisée lors d’une transplantation du larynx pour faire des greffes nerveuses ». Ce qui permettrait alors de refaire marcher les cordes vocales.